Lauréate du 18ème Prix Littéraire ARVERNE
Mesdames, Messieurs,
Madame la Présidente de la Ligue Auvergnate et du Massif central,
Chers membres du jury, vous tous, qui me faites l'honneur d'être présents ce soir,
Je suis extrêmement touchée de recevoir ce prix et vous en remercie. Une distinction littéraire qui vient récompenser mon roman porté depuis sa publication par des voix rurales et paysannes, ce monde auquel je suis si fière d'appartenir et qui m'a inspiré cette histoire.
Je tiens également à remercier ma maison d'édition qui m'a fait confiance pour ce premier roman, plus particulièrement Lina Pinto, mon éditrice, qui me soutient depuis le début de cette aventure littéraire, ainsi que Sandrine Labrevoie, attachée de presse, et qui toutes les deux ce soir m'honorent de leur présence.
Ce prix Arverne, je n'osais y croire, et c'est toute fébrile que j'ai répondu le mercredi 13 mars au matin à l'appel de Rui dos Santos, journaliste à l'Aveyronnais, à qui j'avais accordé une interview un mois et demi plus tôt, et qui m'appelait pour m'annoncer que j'étais lauréate. Je suis d'autant plus touchée que le Prix Arverne est une récompense qui élève les valeurs des terroirs que constitue la géographie de « La Ligue auvergnate et du Massif central », et qu'il est question du monde rural.
Fière aussi de succéder à Franck Bouysse, auteur honoré de ce prix l'an passé, également édité chez Albin Michel, et de suivre les traces de Cécile Coulon, Vanessa Bamberger, Marie-Hélène Lafon, Roger Béteille et tant d'autres depuis 2007. Ce roman, je l'ai dédié à mon mari et « À tous ceux qui le vivent sans l'écrire », aux éleveurs de notre région, au peuple de ceux, qui tous les jours nous font manger, et que les évènements de ces derniers temps ont mis en lumière.
« Le prix Arverne », est un prix littéraire régional important qui permet de porter un autre regard sur mon travail et la reconnaissance littéraire que je n'avais pas jusqu'à présent. Naisseur, plus qu'un roman, est en filigrane une vie tissée de mon histoire, de mon expérience, de mes mots, moi qui comme Marie-Loup, suis née sœur dans une famille paysanne où les garçons promettaient un avenir serein à nos parents : la reprise de la ferme au masculin, singulier ou pluriel comme tous les garçons de la famille, depuis toujours. Les similitudes s'arrêtent à peu près ici, dans cet espace un peu troublé, intermédiaire créatif où l'auteure a façonné cette histoire, en y mettant une part de sa vie, mais en effaçant soigneusement les contours, brouillant savamment les pistes pour éviter l'écueil documentaire et non fictionnel, qui amènent parfois à confondre l'autofiction et le roman.
Naisseur est donc bien un roman, un roman qui appartient au genre rural et social. J'y ai évoqué le monde agricole d'aujourd'hui, que je différencie du roman terroir, genre littéraire qui pour moi s'inscrit dans une tradition locale plus ancienne, où il est question d'une époque révolue, que je n'ai pas connue et qu'il m'est difficile d'évoquer, car je cherche toujours à éprouver ce que j'écris. Par tous les moyens à le vivre, par souci de réalisme et aussi parce que mon écriture passe avant tout par l'expérience.
Je suis ce soir ici, un peu comme chez moi, en Aveyron, car il y a, paraît-il, plus d'Aveyronnais dans la capitale que dans notre département. L'Aveyron, comme partout dans la Région du Massif central, cette terre si particulière où la géographie ne permet pas d'autre agriculture que l'élevage. Cette terre qui rend les paysans comme dans la plupart des régions de montagnes, ingénieux, mais capables aussi comme sur le Causse, d'élever des bêtes et de faire pousser du blé autant que des cailloux. Cette terre qui depuis toujours alimente des récits qui puisent leur force, leur caractère tellurique dans des traditions animistes à la croisée du mysticisme, de la sorcellerie où croire en Dieu, en l'homme où aux bêtes est à peu près pareil. Car il faut avoir la foi pour travailler cette terre, pour y élever des animaux, y vivre, y aimer, y écrire et tout simplement ressentir. Et là de faire référence à Cécile Coulon et à son dernier roman La langue des choses cachées, car beaucoup de choses se ressentent dans l'élevage comme dans la littérature sans jamais parler, sans jamais dire. On sait la bête, on la connaît en la flattant et souvent du premier regard, on sait le mot juste, on connaît la bête autant que nos mots. Ce qu'ils sont capables de rendre, de dire, de caresser, de casser pour émouvoir. Les mots : ils sont, je crois, comme mes bêtes : ils ont le pouvoir de faire parler le silence, de dire sans dire, de respirer, de souffrir, de sentir, de souffler, de battre, de ruminer.
Les mots sont de l'émotion pure comme les animaux et si différents du verbe : loquace, précis, anguleux. On peut les interpréter comme interpréter les réactions des bêtes. Leur regard, leur respiration, leurs oreilles coiffées en arrière, me permettent de savoir tout ce qu'elles ressentent. Je sais tout ça, parce que je suis paysanne, que les mots de Naisseur sont aussi ceux de mon monde, de ma race et qu'à travers ce texte émaillé de quelques-uns d'entre eux patois, je crois avoir moi aussi comme le dit Annie Ernaux, à propos de son écriture et de son travail d'écrivain, de la littérature dans laquelle elle est entrée : « je voulais venger ma race ». Pas dans le sens féministe que l'on pourrait attendre chez l'auteure, mais parce qu'elle aussi est issue d'un milieu que la littérature a élevé. Parce que la beauté du langage transcende tout le reste, le quotidien plus bas, moins poétique, mais que l'imagination et l'acte littéraire de création permettent d'illuminer. Elle écrit : « Je pensais orgueilleusement et naïvement qu’écrire des livres, devenir écrivain, au bout d’une lignée de paysans sans terre, d’ouvriers et de petits commerçants, de gens méprisés pour leurs manières, leur accent, leur inculture, suffirait à réparer l’injustice sociale de la naissance. » Comme elle, je n'y ai jamais véritablement cru, car on ne peut jamais effacer nos manières qu'une attitude, un geste, un regard trahiront —surtout ce que l'on cherche à cacher— mais j'ai toujours su qu'écrire m'aiderait à vivre : à accepter l'inévitable, l'invivable. Car venger sa race c'est surtout, je crois, reconnaître que notre histoire, nos origines, participent de ce que nous sommes, vivre avec, toujours et sans complexe, crânement peut-être, en n'oubliant jamais d'où nous venons et ce que nous sommes. Que les paysans, du fait de leur place dans la société, ont été longtemps méprisés, relégués à des tâches subalternes, considérés de par leur naissance comme des êtres inférieurs, qui peuvent parfois encore être raillés, mais je veux croire que les choses sont en train de changer. « La littérature m'a sauvée de tous les maux ». Parce que la littérature me fait rêver, me transporte, qu'elle est un anti-destin, une échappatoire. Je crois que tous ici, ce soir, nous sommes unanimement d'accord avec cela, que la littérature possède une force qui permet de transcender les règles établies, briser les carcans, comme les verrous des portes des prisons.
Il y a quelques mois de cela, juste avant Noël, David, un détenu qui a lu et apprécié Naisseur, m'a écrit une lettre, où il me disait son amour du monde rural, et me racontait ses souvenirs d'enfance ; lui qui a grandi en Haute-Savoie à proximité immédiate d'une ferme, opposant cette vie pleine d'odeurs et de souvenirs, à celle citadine où il s'est abandonné et ne trouve plus sa place. Il m'écrit : « Lorsque nous avons grandi dans la ruralité, on peut la fuir, mais on ne peut pas s'en déraciner, c'est notre nature. » Cette phrase résume à elle seule tout ce que représente le monde rural : le lien viscéral de ceux nés à la campagne pour cette vie simple en apparence, aussi attachante qu'un animal, et que notre identité et nos origines sont toujours là pour rappeler, car on ne peut pas se défaire de notre histoire. Il concluait en espérant que mon livre aurait un prix, c'est chose faite aujourd'hui.
Merci donc pour ce prix Arverne, qui me rend tout simplement heureuse.
À Paris, le 4 avril 2024