Quille 16Avant 1911

Le témoignage de l'abbé Cayla démontre qu'au XIX° siècle, presque chaque village rouergat avait son jeu de neuf quilles. C'était un jeu masculin de force et d'adresse suscitant le défi. Ce défi incluait la manière de jouer, le nombre et la place des quilles à abattre et la nature de l'enjeu. On jouait à mettre. Les joueurs décidaient et arbitraient eux-mêmes. Tout se jouait autour de la parole. L'enjeu variait d'un coup de saoumencès (Marcillac) à une volaille que les joueurs mangeaient ensemble à l'issue des parties.

Quille 17Dans cette culture rouergate à tradition orale, la convivialité prime sur l'idée de performance. Les joueurs ne sont pas soumis à une réglementation officielle extérieure. Indépendance et particularisme règnent en maîtres. Le rituel où les hommes se donnent à voir et se mesure en faisant preuve de force et d'adresse prédomine. Dans ce contexte, la fantaisie et la provocation suscitent bien sûr les paris mais engendre également l'innovation. L'habitude de prendre quille se propage dans le Nord-Aveyron et la région d'Espalion. L'utilisation de la quille joueuse, mode insolite, va gagner de proche la vallée du lot et la région de Rodez.

Cette première période définit une société traditionnelle dans laquelle chaque village avait son jeu de quilles particulier car d'une part la normalisation n'existait pas, d'autre part, les unités de mesure variaient d'une bourgade à une autre. Le charron, le sabotier ou quiconque capable de mener à bien l'ouvrage, fabriquer à leur manière le matériel : deux essences de bois s'imposaient peu à peu : le noyer ou sa racine pour la boule, le hêtre pour les quilles.

De 1912 à 1936

Quille 18L'abbé Cayla soulignait dans son enquête l'importance de l'émigration vers Paris et les changements sensibles qui en découlaient. En 1911, 50 000 Aveyronnais d'origine forment à Paris un groupe provincial cohérent, structuré, solidaire du désir d'affirmer sa personnalité et son indépendance, l'émigration rouergate présente l'originalité d'être très organisée. L'émigrant a un point de chute : famille ou voisin. De plus, tous les déracinés se regroupent au sein de 70 amicales. Chaque amicale propose une aide matérielle dans divers domaines, organise des retrouvailles et des fêtes de novembre à avril (Paris) et pendant l'été (Aveyron). L'une des amicales "La Solidarité Aveyronnaise" met au programme de sa grande fête champêtre un concours de quilles. Nous sommes le 2 juillet 1911, à Viroflay. Le jeu de quilles aveyronnais connaît un instant décisif de son histoire.

Quille 19Deux équipes de douze joueurs se disputent le concours. Devant ce succès, l'amicale décide de créer une section sport et jeux en son sein. Désormais une dynamique de changement va se heurter au conservatisme et aux habitudes. Rien ne sera plus jamais "comme avant". Le besoin de se référer à des règles unifiées se traduit le 6 juin 1912 par une réunion tentant de codifier le jeu. Mais il fallait une personnalité hors du commun, très influente auprès des Aveyronnais expatriés, pour orienter définitivement le jeu. Le docteur AYRIGNAC, président de l'Amicale parvient avec messieurs GARRIC (Rodez), QUINTARD (Espalion), et PLAYNARD (Prades d'Aubrac) à poser les bases modernes du jeu de quilles. C'est donc loin des terres rouergates, au boulodrome de la rue Marcadet (18e arrondissement) que naissent les règles du jeu tel qu'il est pratiqué encore aujourd'hui.

Le 15 septembre 1912, l'Aveyron connaît sa première compétition au cours de la fête de 1a Solidarité organisée à Espalion. Le journal de l'Aveyron (22 septembre 1912) relate ainsi l'événement : "Sur la place Saint-Georges sont installés quatre superbes jeux de quilles. Les équipes de quatre joueurs étaient nombreuses, venues d'un peu partout. Jusque vers 11 heures, boules et quilles roulent, résonnent. Certains joueurs font preuve d'une vigueur et d'une adresse surprenantes qui témoignent d'un long entraînement. Il paraît évident désormais que l'humble jeu de quilles peu devenir un sport véritable où la force musculaire, le coup d'œil peuvent se développer aussi bien qu'au football."

Le 10 août 1913 à Espalion, les limites de l'arrondissement sont dépassées pour la première fois avec la venue d'équipes de Rodez et d'Olemps.

Après les succès obtenus à Espalion en 1912 et 1913, la Solidarité Aveyronnaise avait choisi d'organiser sa troisième fête annuelle à Rodez avec comme "morceau de bravoure" un grand concours de quilles. L'histoire, à l'échelle planétaire, en décidait autrement et le 9 août 1914 les Aveyronnais n'avaient plus le cœur à jouer aux quilles.

Après quatre années de guerre et deux années nécessaires pour panser les plaies du premier conflit mondial, les compétitions reprennent tant à Paris qu'en Aveyron.

Le 7 août 1921, Rodez sert de cadre aux premiers affrontements, bien pacifiques, entre les meilleurs Aveyronnais et les meilleurs Parisiens annonçant avec 25 ans d'avance les premiers championnats de France.

Quelques tensions apparaissent à l'issue de cette journée historique : l'on reproche à l'équipe parisienne de ne pas être formée de joueurs originaires du même village. Le 2 août 1925, la coupe de la Solidarité se joue à Espalion avant de connaître une interruption jusqu'en 1929. Le 22 septembre 1929, les Espalionnais viennent s'imposer à Rodez.

Au cours des années trente, le succès des quilles va croissant en Aveyron. Les concours se multiplient et il n'est pas rare qu'un joueur parcoure à bicyclette des dizaines de kilomètre pour disputer plusieurs compétitions dans la même journée. L'on assiste à une surenchère qui va entraîner une réelle crise : il n'existe aucun organisme central et de ce fait chacun reste maître chez lui, s'efforçant de mettre des prix plus alléchants que le voisin de façon à attirer plus de joueurs. Cependant les clubs organisateurs s'arrangent pour conserver en fin de journée le premier prix grâce à une équipe du cru. Le manque d'équité qui semble caractériser l'organisation des concours amicaux finit par briser l'enthousiasme populaire, stoppant net l'engouement que connaissait ce jeu. De nombreuses lettres sont échangées entre la Solidarité Aveyronnaise et le Sport Quilles Espalionnais pour étudier les désaccords, pour résoudre certains points de détails et pour lutter contre les supercheries. On arrive à élaborer un règlement définissant la composition des équipes, le déroulement du Championnat comportant l'attribution de la coupe de la Solidarité, l'arbitrage, le poids du jeu de quilles, boule comprise, et les distances de jeu. En 1933 la coupe est jouée, pour la dernière fois, à Espalion.

Robert Mazars (L'histoire des quilles, 1970) souligne ainsi l'essoufflement du jeu de quilles : "souvent écœurés, les joueur limitèrent leurs déplacements et la vogue des quilles diminua. Pour remédier à cela, un petit groupe de "mordus" décida de créer en 1936, la Fédération Aveyronnaise. Celle-ci uniquement axée sur le côté sportif des quilles, mit sur pied un règlement et créa le Championnat de l'Aveyron appelé FANION".

Cette deuxième période a vue se codifier le jeu associé aux paris qui ne présente pas pour autant des structures administratives fédérales. Si avant 1911, l'estimation du nombre d'adeptes reste très approximative, la présence de 54 équipes en 1933 au concours d'Espalion constitue un réel indice quant à l'engouement suscité par les quilles. Associée à la maintenance de la tradition et à la revendication identitaire, cette période présente encore le jeu comme un rituel social qui met en exergue les valeurs reconnues par la société rouergate traditionnelle. Cependant, l'égocentrisme villageois cause le déclin du jeu avec pari. L'esprit sportif va pouvoir se diffuser.

De 1936 à 1966

Après la création de la fédération aveyronnaise, l'on continue à jouer soit de façon officielle (championnat), soit lors des fêtes villageoises (concours amicaux). Personne n'éprouve encore le besoin de s'entraîner régulièrement, la deuxième guerre mondiale n'interrompt pas, comme ce fut le cas en 1914, la pratique du jeu de quilles. Un concours est même organisé pour les juniors en 1941. On peut donc penser que la place vitale de ce jeu "dans l'imaginaire collectif l'emporte alors sur toute autre considération" (Gérard BALLIN).

Paradoxalement il faut attendre 1946 pour assister à la naissance du Comité Parisien de quilles. Jouer aux quilles dans la capitale, c'est avant tout raviver le sentiment d'appartenance à un terroir, l'institutionnalisation paraît secondaire au regard de la pratique et de l'imprégnation. Le temps de loisirs, correspondant à une  élévation socio-économique et culturelle de l'ensemble de la population rouergate émigrée permet un entraînement régulier qui annonce une certaine suprématie des parisiens pendant des années (17 victoires aux Championnats de France Excellence de 1946 à 1965).

Le 7 décembre 1946, dans le hall de la Foire de Paris (Porte de Versailles) se déroule la revanche de la rencontre officielle d'Espalion (11 août 1946) avec la remise du Challenge de l'Auvergnat de Paris. Ce type de compétition par match aller et retour dure pendant quatre ans. Tour à tour Rodez, Decazeville, Baraqueville et Cassagnes-Bégonhès accueillent les rencontres. La domination parisienne ne souffre aucune contestation, et cela durera plusieurs années.

Le 15 juin 1949, la Fédération Aveyronnaise et le Comité Parisien décident de se réunir en fédération. Les pouvoirs publics reçoivent simultanément d'autres demandes de reconnaissance officielle (Fédération Alsacienne, Bordelaise, Béarnaise).

Un Championnat de France par équipes, concernant différentes catégories remplace les rencontres par match aller-retour à partir de 1951. Il se déroule à Rodez tous les ans. Un championnat de France individuel complète la compétition par équipes.

En 1951, l'effectif officiel s'élève à 320 licenciés dont environ un tiers de joueurs parisiens. Le recrutement est surtout citadin.

A l'issue de la réunion du 21 janvier 1957, une Fédération Française des Sports de Quilles voit le jour, composée de 5 sections : Asphalte, Bowling, Quilles de Six, Quilles de Neuf Béarnaises et Quilles de Huit. La Fédération Aveyronnaise des quilles devient la Section Quilles de Huit.

Des clubs s’implantent un peu partout : Luc, Agen d'Aveyron, Rignac, Bozouls, Sébazac, Magrin, Marcillac, Cassagnes, Gages ...

Cette troisième période garde le souci de se rattacher à la tradition mais est influencée par le modèle sportif qui gagne progressivement du terrain.

De 1967 à nos jours

De 600 licenciés en 1968, l'on passe allègrement à 3056 licenciés en 1990. On constate un recrutement essentiellement rural (juste retour de l'histoire ?) alors que les villes importantes connaissent une stagnation voire une diminution inquiétante. On assiste au cours de cette période à une multiplication des catégories. Les seniors, 977 en 1972, 2056 en 1990, se découvrent une passion extraordinaire pour ce jeu, de même que les enfants et les vétérans.

Les années soixante-dix sont indéniablement marquées par la présence, au sein des instances dirigeantes, d'instituteurs. A la fois cadres et initiateurs, ces instituteurs donnent au jeu de quilles les bases sportives et culturelles que nous lui connaissons aujourd'hui. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si en 1972 naissent simultanément le Comité Aveyronnais des Sports de Quilles et le Championnat USEP (Sport Scolaire). A partir de 1986, des écoles de quilles permettent à tous les enfants de faire l'apprentissage du jeu le samedi après-midi.

Le nombre de clubs passe d'une trentaine en 1968 à 101 en 1990. La particularité des sociétés créées depuis 1970, c'est leur implantation dans de petits villages, voire des hameaux. N'est-ce point là une nouvelle preuve de la recherche identitaire des racines ?

D'après le livre de Dominique Laurens

(Quilles de Huit, Chronique d'une passion)

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